Moteurs moléculaires : de nouvelles découvertes remarquables pour mieux comprendre le vivant
Depuis de nombreuses années, le mystère des moteurs moléculaires passionne les scientifiques du monde entier. En 2016, le prix Nobel de chimie est d’ailleurs attribué au français Jean-Pierre Sauvage, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, au Britannique J. Fraser Stoddart et au néerlandais Bernard L. Feringa pour leurs travaux de conception et de synthèse de machines moléculaires artificielles. Dans la continuité de ces travaux, des chercheurs de l’Institut Charles Sadron (Université de Strasbourg/CNRS) et de l’Université de Manchester ont récemment publié dans la prestigieuse revue scientifique Nature un article qui apporte une réponse très attendue sur le mode de fonctionnement de ces moteurs. Cette étude démontre comment des moteurs simples peuvent convertir une source d’énergie chimique en travail mécanique grâce à un processus catalytique. Une avancée remarquable qui permettra de mieux comprendre certains processus biologiques essentiels au fonctionnement des cellules vivantes, et qui ouvrira vers des applications innovantes.
Pour mieux appréhender l’importance de cette découverte, il est essentiel de comprendre ce qu’est un moteur moléculaire. Selon le professeur Nicolas Giuseppone, directeur de l’équipe Synthèse et Auto-assemblage Moléculaires et Supramoléculaires, « Une molécule lambda dans une cellule, comme un nageur dans une mer agitée, se retrouve dans l’eau incapable de se diriger et subit la force des vagues. Les moteurs moléculaires eux se comportent comme des surfeurs, et vont se servir de l’énergie de certaines vagues bien choisies pour s’orienter et produire un mouvement parfaitement contrôlé. Les moteurs moléculaires utilisent ainsi le désordre de leur environnement pour en tirer un mouvement ordonné, et accomplir un travail mécanique utile». Dans la nature, les moteurs moléculaires sont nombreux et assurent des fonctions primordiales : réplication et traduction de l’ADN, mouvement au sein des cellules ou des tissus, division cellulaire. Ces moteurs biologiques consomment pour cela une source d’énergie chimique (généralement de l’ATP) par voie enzymatique et la convertissent en travail mécanique. Cependant, le mécanisme précis capable de générer une force à partir d’une réaction moléculaire fait l’objet de nombreux débats contradictoires.
Dans le cadre du projet collaboratif européen ITN-ArtMoMa, l’équipe strasbourgeoise de Nicolas Giuseppone et celle de David Leigh à Manchester sont parvenues à démontrer ce mécanisme à l’aide d’un système chimique minimal. Ils ont ainsi combiné des moteurs rotatifs, 1000 fois plus petit que les naturels, au sein d’un réseau polymère. « Nous avons montré que ces moteurs sont des catalyseurs et vice versa. La transformation d’un carburant chimique leur permet d’en tirer une source d’énergie qu’ils utilisent pour diriger leurs mouvements dans une direction donnée. Il n’y a pas directement de production de force par la catalyse, mais l’énergie chimique va permettre de sélectionner les mouvements aléatoires du moteur pour qu’il tourne dans un sens plutôt qu’un autre et c’est ça qui produit un travail directionnel. Donc l’énergie chimique est transformée en énergie mécanique. C’est la première fois que l’on prouve ce phénomène », se réjouit Nicolas Giuseppone.
De multiples perspectives pour la santé et au delà !
Dans leurs expériences, les scientifiques ont relié un très grand nombre de moteurs pour qu’ils fonctionnent en même temps. Leurs mouvements ont ainsi été amplifiés dans le réseau polymère jusqu’à l’échelle macroscopique et la force générée au sein du matériau a pu être mesurée et corrélée à l’activité catalytique. De quoi envisager des applications dans un large panel de domaines. La force de ces moteurs moléculaires pourrait propulser des objets dans le corps pour transporter des médicaments par exemple, ou créer des implants musculaires qui utiliseraient l’énergie des cellules comme carburant. « Partout où il y a du mouvement, les moteurs moléculaires pourraient servir. On peut imaginer que les moteurs soient intégrés dans des matériaux qui deviennent actifs à toutes les échelles. Cela va toucher le domaine des nanotechnologies, des matériaux et biomatériaux, de la soft robotique », explique Nicolas Giuseppone.
L’équipe strasbourgeoise commence tout juste à travailler sur des applications. « Dernièrement nous avons publié un article qui montrait que les moteurs moléculaires pouvaient détruire, in vitro, des modèles de fibres bêta-amyloïdes qui sont responsables de la maladie d’Alzheimer », développe le chercheur. Sur un tout autre axe, les scientifiques se concentrent sur l’utilisation de moteurs photoactivables pour générer des polymères supramoléculaires aux propriétés dynamiques. Cela ouvre la voie à des applications dans le domaine des matériaux autoréparants et recyclables, d’autant que cette dernière technologie utilise simplement la lumière comme source d’énergie non polluante.
Référence
Transducing chemical energy through catalysis by an artificial molecular motor Nature637, 594–600 (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-024-08288-x