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Nicolas Giuseppone lauréat de l’ERC pour développer des matériaux actifs

Nicolas Giuseppone, professeur de l’Université de Strasbourg et directeur de l’équipe Synthèse et Auto-assemblage Moléculaires et Supramoléculaires (SAMS) à l’Institut Charles Sadron (CNRS), figure sur la liste très sélective des lauréats de l’ERC Advanced Grant. Ce prestigieux financement européen permettra à l’équipe de développer des auto-assemblages de machines moléculaires nanométriques capables de se mouvoir et de changer de forme sur commande. Ces nouveaux matériaux actifs se dotent de certaines caractéristiques du vivant, des qualités recherchées dans de nombreux domaines, notamment pour leurs applications médicales et en robotique.

Rendre les matériaux plus « vivants », une ambition aux applications prometteuses

Strasbourg est le berceau de la chimie supramoléculaire et des premières machines synthétiques à l’échelle nanométrique, avec deux prix Nobel de chimie récompensant les chercheurs emblématiques de ces découvertes (Jean-Marie Lehn et Jean-Pierre Sauvage). La capitale alsacienne est aussi dotée de laboratoires de recherche de très haut niveau dans le domaine des nouveaux matériaux dits « intelligents ». L’équipe du professeur Nicolas Giuseppone en fait partie. Installé à l’Institut Charles Sadron depuis 2008, le chercheur a acquis au fil des années une renommée internationale et remporte pour la 2ème fois un financement ERC (European Research Council).

Nicolas Giuseppone développe des molécules capables de s’auto-assembler et de s’organiser spontanément. Le chercheur explique l’intérêt majeur de ses recherches : « Les matériaux que nous utilisons au quotidien sont très statiques, ils ne s’adaptent pas à leur environnement. C’est la grande différence avec les organismes vivants qui utilisent notamment des machines biomoléculaires très complexes capables de réagir aux stimulations extérieures et d’y répondre. Notre objectif est de développer de nouveaux matériaux actifs, composés de petites machines moléculaires artificielles. Ces matériaux seront par exemple capables de se déplacer ou de changer de forme sur commande ».

Créer des matériaux imitant des caractéristiques du vivant permet de mieux comprendre comment la matière inerte acquiert la capacité de répondre à une variation de l’environnement et à s’adapter. C’est aussi un domaine de recherche aux applications prometteuses, par exemple dans les domaines de la santé : « Nos muscles sont des structures fibrillaires qui coulissent entre elles quand nous les contractons. C’est grâce au mouvement de milliers de machines moléculaires naturelles que ce mouvement a lieu. Pouvoir recréer des muscles artificiels en développant des matériaux contractiles serait une formidable avancée pour de futures applications en médecine régénérative. En ce sens, nous avons développé un nouveau type de matériaux où de nombreuses machines moléculaires s’associent et induisent une contraction lorsqu’elles sont activées ». En effet, le Laboratoire a synthétisé un moteur moléculaire dont la rotation est activée par la lumière : sous l’effet des UV, le moteur enroule les chaines polymères du matériau sur elle-même (vidéo 1). L’association de ces milliers de molécules (vidéo 2) entraine la contraction du matériau à l’échelle macroscopique (vidéo 3). Ce matériau contractile est également très robuste et peut soulever jusqu’à 100X sa propre masse (video 4)1.

Vidéo 1 : le moteur moléculaire en action

Vidéo 2 : association des moteurs moléculaires

Vidéo 3 : contraction du matériau

Vidéo 4 : test de soulevé de charge

Vue d'artiste d'un muscle artificiel

Dans le futur, ces machines moléculaires pourraient également être utilisées pour détruire des structures problématiques comme les peptides β-amyloïdes. Ces fibres s’accumulent sur les neurones et sont à l’origine de pathologies cérébrales, notamment la maladie d’Alzheimer. « Nous avons synthétisé des moteurs moléculaires capables de s’intercaler entre des fibres très semblables à ces longues chaines de protéines qui tapissent les neurones des malades. Un signal lumineux active les machines, elles se mettent en rotation et parviennent à briser les fibres  2» explique le chercheur tout en précisant que ces recherches sont pour l’instant menées uniquement in vitro et nécessiteront encore de nombreuses années d’études pour être envisagées sur des patients.

Ces nanomachines pourraient ainsi renforcer notre arsenal thérapeutique, en détruisant des structures moléculaires nuisibles à notre organisme, mais aussi en transportant et en délivrant très précisément des médicaments ou en exerçant des pressions mécaniques sur certaines cellules pour stimuler la croissance ou la différenciation de nos tissus. Hors santé, de nombreuses applications peuvent également être développées à partir de ces matériaux capables de percevoir leur environnement et de s’y adapter, notamment pour la robotique, les capteurs et les systèmes de stockage d’énergie.

Un ERC destiné à poursuivre le développement de ces matériaux

Le prestigieux financement européen va permettre à l’équipe de Nicolas Giuseppone de développer d’autres matériaux « intelligents » activés par la lumière, mais également des moteurs moléculaires fonctionnant avec des carburants chimiques : « nous avons récemment créé un matériau semblable à un gel capable de se contracter, puis de se détendre 3. Les molécules qui le composent tournent lorsqu’on leur fournit une source d’énergie chimique, un peu comme un moteur qui fonctionne grâce à de l’essence. Ces molécules imitent ce que font certaines protéines dans nos cellules par catalyse enzymatique. Ce système montre, pour la première fois, qu’on peut utiliser de l’énergie chimique pour produire un vrai travail mécanique à partir de molécules synthétiques. » 2,5 M€ sur 5 ans permettront de financer une dizaine d’emplois au sein du laboratoire pour poursuivre le développement de ces matériaux. Des fonds particulièrement appréciés en ces temps difficiles pour la recherche publique : « Les ERC nous permettent de nous concentrer sur nos recherches plutôt que sur les demandes de financements. Même si c’est toujours intéressant de mettre par écrit nos projets pour les structurer, obtenir ce précieux financement européen est gage d’une vraie liberté pendant 5 ans. » Au cours des prochaines années, l’équipe pourra explorer sereinement le potentiel des moteurs moléculaires, développant ainsi les prototypes des matériaux intelligents de demain.

Sources

1. Scalable Approach to Molecular Motor-Polymer Conjugates for Light-Driven Artificial Muscles. Xuyang Yao, et al., 13 April 2024, Advanced Materials. https://doi.org/10.1002/adma.202403514

 

2. Out-of-equilibrium mechanical disruption of β-amyloid fibers using light-driven molecular motors. Dania Daou, et al. Advanced Materials 2024. https://doi.org/10.1002/adma.202311293

 

3. Transducing chemical energy through catalysis by an artificial molecular motor. Peng-Lai Wang, et al., Nature 637, 594–600 (15/01/2025). https://doi.org/10.1038/s41586-024-08288-x