Sven Jandura : améliorer la fiabilité d’ordinateurs quantiques nouvelle génération
Sven Jandura, docteur 2024 de l’Université de Strasbourg, s’est vu remettre le 20 juin le prix de thèse de la fondation Jean-Marie Lehn pour l’originalité et la qualité de ses travaux de recherche. Durant son doctorat au sein du laboratoire de physique quantique de Guido Pupillo à l’ISIS (Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires), Sven Jandura a perfectionné une technologie laser afin d’augmenter la robustesse et la fiabilité d’un nouveau type d’ordinateur quantique.
Dr Sven Jandura. Crédit : S. Beta
L’informatique quantique, un domaine de recherche hautement stratégique
La puissance de calcul des ordinateurs quantiques dépasse de très loin celle des machines classiques. Grâce à deux phénomènes appelés « superposition » et « intrication », un ordinateur quantique réalise en parallèle de nombreux calculs là où un ordinateur classique réalisera des calculs de façon séquentiels, l’un après l’autre. Cette technologie pourrait permettre de réaliser des modélisations très complexes et de sélectionner en un temps record les meilleures solutions possibles dans de nombreux domaines comme la logistique, la recherche de molécules thérapeutiques, la cybersécurité, optimisation de l’intelligence artificielle ou encore les prévisions météorologiques et climatiques.
Après un master en physique à l’ETH de Zürich, Sven Jandura a réalisé sa thèse dans le Laboratoire de physique quantique de l’ISIS. Il s’est intéressé à un nouveau type de technologie : l’informatique quantique à atomes neutres. Les Qubits, qui représentent les unités de base de l’information en informatique quantique (l’équivalent des Bits en informatique traditionnelle), sont matérialisés par des atomes dits neutres, car non chargés électriquement. Ces atomes sont piégés dans l’espace par des lasers, à l’instar de pinces lumineuses permettant de les aligner, de les déplacer, et de modifier leur état quantique afin de réaliser des opérations complexes.
Illustration des atomes neutres piégés dans des trappes lasers (Image générée par intelligence artificielle)
Sven Jandura précise que ce type de calculateur quantique présente de nombreux avantages : « Contrairement à certaines technologies quantiques cryogéniques (comme celles utilisant les supraconducteurs), les atomes neutres ne nécessitent pas d’équipement à des températures cryogéniques/ultra-froides. Les atomes eux-mêmes sont maintenus à des températures ultra-froides, mais l’ensemble du dispositif expérimental peut rester à température ambiante. Ces systèmes sont donc plus compacts, plus faciles à manipuler et moins énergivores. Utiliser des atomes neutres présente également deux avantages : ce sont tous les mêmes atomes (ce qui facilite leur calibration) et le fait qu’ils ne soient pas chargés limite énormément leurs interactions avec l’environnement, rendant les Qubits très stables. Enfin, les lasers sont des outils très pratiques pour créer de grands réseaux d’atomes et les reconfigurer très rapidement ». Cette technologie émergente nécessite néanmoins des améliorations, notamment dans la limitation des erreurs dues aux atomes qui sortiraient de leur trappe laser. C’est sur cette problématique qu’est axée la thèse de Sven Jandura.
Une thèse pour améliorer la fiabilité des ordinateurs quantiques à atomes neutres
Le rôle du chercheur allemand dans cette nouvelle technologie prometteuse a été d’améliorer l’utilisation des lasers contrôlant les atomes neutres. Titulaire d’une double licence de mathématiques et de physique à Université Ludwig-Maximilian de Munich, Sven Jandura a passé des mois à peaufiner ses calculs : « je suis un physicien théorique, c’est-à-dire que je réalise des protocoles laser, des calculs complexes pour optimiser l’amplitude, la fréquence des lasers afin qu’ils puissent maitriser au mieux la manipulation des atomes. L’objectif était de réduire au maximum les erreurs et de rendre les calculs plus robustes… du moins sur le papier ! ».
Durant sa thèse, le chercheur a pu tout de même tester ses protocoles grâce à plusieurs collaborations avec des laboratoires issus des universités américaines d’Harvard et de Princeton : « Les essais ont duré deux ans, ça a été compliqué pour les équipes dont les outils et les lasers ont subi de nombreuses casses au cours des tentatives. C’était également très stimulant, car au fur et à mesure des tests, je pouvais améliorer mes protocoles en fonction de leurs résultats, étape par étape. Une des principales difficultés pour moi a été de maitriser les codes de correction d’erreurs pour que les calculs soient fiables. Les erreurs sont inévitables, tout l’enjeu est de favoriser les erreurs que nous savons corriger… tout un domaine de recherche que je ne connaissais pas du tout au début de ma thèse. Mais ça a fini par fonctionner, nous avons significativement limité les erreurs et bâti des systèmes plus robustes, un succès couronné par plusieurs publications dans des journaux prestigieux 1,2».
Le chercheur a également collaboré avec une équipe de l’Université du Colorado afin de réaliser des horloges quantiques de très haute précision : « C’est très utile en recherche fondamentale de calculer extrêmement précisément le temps, c’est un formidable outil pour tester les limites des lois physiques actuelles. Cette collaboration vient également d’être publiée dans le journal Nature 3 ».
Superposition de passions : entre équations et excursions
Faire de la physique théorique peut-être éprouvant pour les neurones. Pour Sven Jandura, sortir la tête du guidon pour aller pédaler dans les Vosges a été crucial pour son équilibre personnel. « Réaliser un doctorat, c’est un moment très intense dans la vie d’un chercheur. À vélo depuis Strasbourg, vous êtes assez vite dans la nature. Faire de la randonnée ou partir en VVT dans le massif des Vosges sont de bons moyens de déconnecter, ça a été ma soupape pour me vider la tête et admirer la nature (macroscopique cette fois) », précise le jeune physicien en rappelant l’importance de recharger ses batteries entre deux protocoles, preuve qu’il est parfois nécessaire de sortir du labo pour reprendre ses calculs dans de meilleures dispositions.
Lauréat du prix de thèse de la Fondation Jean-Marie Lehn
Ce brillant parcours a retenu l’attention du jury des prix de thèse de la Fondation Jean-Marie Lehn. Ce prix, naturellement apprécié par Sven Jandura, vient récompenser l’originalité de ses travaux alors que le chercheur n’a pas poursuivi sa carrière dans la recherche publique : « Ce prix est une belle façon de clore ce chapitre de ma vie. Après ma thèse, j’ai quitté la recherche académique, les compétences d’un physicien quantiques sont recherchées également dans le privé dans des domaines variés. Je travaille désormais à Londres dans la finance ». La Fondation lui adresse ses félicitations et lui souhaite beaucoup de succès dans sa nouvelle carrière.
Sources
1. High-fidelity gates and mid-circuit erasure conversion in an atomic qubit. Shuo Ma, Genyue Liu, Pai Peng, Bichen Zhang, Sven Jandura, Jahan Claes, Alex P. Burgers, Guido Pupillo, Shruti Puri & Jeff D. Thompson. Nature, volume 622, pages 279–284 (2023). https://doi.org/10.1038/s41586-023-06438-1
2. High-rate quantum LDPC codes for long-range-connected neutral atom registers. Laura Pecorari, Sven Jandura, Gavin K. Brennen & Guido Pupillo. Nature Communications volume 16, Article number: 1111 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-56255-5
3. Multi-qubit gates and Schrödinger cat states in an optical clock. Alec Cao, William J. Eckner, Theodor Lukin Yelin, Aaron W. Young, Sven Jandura, Lingfeng Yan, Kyungtae Kim, Guido Pupillo, Jun Ye, Nelson Darkwah Oppong & Adam M. Kaufman Nature 634, 315–320 (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07913-z