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Des nanomatériaux hybrides au service de la santé et de l’environnement

Les propriétés fascinantes des nanomatériaux hybrides

Sylvie Begin Colin est professeure de l’Université de Strasbourg à l’Ecole Européenne de Chimie, Polymères et Matériaux (ECPM) et directrice de l’équipe de recherche spécialisée dans l’ingénierie de nanomatériaux hybride (Namathy) au sein de l’Institut de chimie et procédés pour l’énergie, l’environnement et la santé (ICPEES- UMR 7515). Son équipe développe des matériaux à l’échelle nanométriques dits « hybrides », c’est-à-dire des structures qui combinent au moins deux matériaux différents, souvent un inorganique (comme des oxydes métalliques, spécialité du laboratoire) et un organique (molécules à base de carbone).

Cette combinaison confère au matériau des propriétés utiles dans diverses applications en santé et du développement durable. Sylvie Begin-Colin et son équipe développent plusieurs projets dédiés à des problématiques médicales : « La maladie d’Alzheimer est souvent associée à la présence dans le cerveau de plaques séniles résultant de l’assemblage d’un peptide, appelé β-amyloïde, et ces plaques sont souvent présentes avant de déclarer la maladie. Afin de permettre un diagnostic précoce de cette maladie, notre laboratoire a développé un nanomatériau hybride associant des nanoparticules d’oxyde de fer et des molécules de ciblage capables de se fixer spécifiquement sur les peptidesβ-amyloïdes. Ces nanoparticules d’oxyde de fer servent ici d’agent de contraste améliorant le contraste lors d’un examen par IRM. Grâce à ces nanosondes hybrides, la présence de β-amyloïdes agrégées, révélatrices de la pathologie, serait immédiatement identifiée par IRM dès l’apparition des premières plaques » (figure 1).

Figure 1 : en présence de β-amyloïdes, les nanobilles couplées aux ligands de ciblage se fixent le long des plaques situées sur les neurones. Les nanobilles d’oxyde de fer améliorent le contrast lors de d’un examen par imagerie par résonance magnétique (IRM) permettant d’établir un diagnostic même aux stades précoces de la maladie d’Alzheimer.

D’autres nanomatériaux à base d’oxyde de fer développés au laboratoire permettent la captation des phosphates, une propriété qui s’avère très utile pour purifier efficacement le sang des patients en insuffisance rénale au stade terminal qui sont traités par dialyse péritonéale : « Ariane Zaloszyc, pédiatre néphrologue hospitalière ainsi que Philippe Choquet de ICube et du laboratoire d’imagerie préclinique de l’hôpital universitaire de Hautepierre, font partie de l’équipe pour développer et valider l’efficacité de ces nanoparticules. Nous travaillons à rendre le plus efficace possible ce type de dialyse, plus facile à mettre en œuvre et surtout plus adaptée pour les bébés et les enfants ». 

Côté applications environnementales, des nanocomposites magnétiques, en particulier les oxydes de fer couplés au graphène, s’avèrent efficaces pour dépolluer l’eau, et permettent de capturer des microplastiques, mais aussi les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des perturbateurs endocriniens cancérigènes malheureusement présents dans l’atmosphère et les cours d’eau (figure 2).
Figure 2 : les nanomatériaux magnétiques (agrégats noirs) capturent les microplastiques en suspension dans l’eau, puis sont extraits par application d’un aimant.
Les pérovskites hybrides sont un des matériaux hybrides prometteurs utilisés pour développer les nouvelles cellules des panneaux photovoltaïques. Reconnues pour leur capacité à absorber efficacement la lumière, les pérovskites hybrides sont des matériaux semi-conducteurs particulièrement performants, facilitant la conversion de l’énergie solaire en énergie électrique. Sylvie Begin-Colin s’est intéressée à ces nanomatériaux et à leur production dans un projet de thèse menée par Yihui Cai co-dirigé par Dominique Bégin et co-supervisé par Clément Sanchez, des travaux soutenus par la Fondation Jean-Marie Lehn pour développer des applications autres que le photovoltaïque mais aussi prometteuses.

Produire des pérovskites hybrides par un procédé vert (sans solvants toxiques) et en une seule étape : de nouvelles applications pour un matériau plus écolo

Avant d’intégrer l’Université de Strasbourg, Sylvie Begin-Colin explique qu’elle a travaillé 10 ans sur la mécanosynthèse d’oxydes métalliques au début de sa carrière à l’Ecole des Mines de Nancy: « C’est une méthode de synthèse de matériaux par broyage à haute énergie sans solvants permettant d’obtenir des produits avec un rendement élevé. Cette nouvelle activité a démarré sous l’impulsion de Clément Sanchez (Professeur émérite au collège de France et Fellowship de la fondation JM Lehn), qui m’a incité à utiliser mon expertise acquise en début de carrière pour élaborer des poudres de pérovskites hybrides par mécanosynthèse, un procédé plus vert permettant de produire de façon reproductible et en grande quantité des poudres (figure 3). Pour mener ce projet, nous avons eu la chance de recruter une doctorante brillante, major de sa promotion ECPM, qui a mis au point les protocoles de mécanosynthèse de divers types de pérovskites hybrides et les a testées dans différentes applications telles que la photodetection, la detection RX et l’absorption d’ondes électromagnétiques ».

Figure 3 : Procédé de mécanosynthèse des pérovskites hybrides. Les poudres de précurseurs sous l’action répétée des chocs mécaniques sont constamment fracturées et soudées, ce qui conduit à des réactions chimiques et la formation du produit visé.

Malgré ces nombreux avantages, la mécanosynthèse est très peu étudiée pour synthétiser des pérovskites hybrides car leur principale application est le photovoltaïque qui nécessite des pérovskites hybrides en films minces. L’objectif ici a été de tester ces pérovskites hybrides sous forme de poudres dans d’autres applications peu explorées mais prometteuses. Ainsi, un inconvénient potentiel du broyage à haute énergie qui est d’introduire des défauts a conduit à une application très intéressante. Ces défauts se sont avérés très intéressants, car ils ont conféré au matériau une grande capacité d’absorption des ondes électromagnétiques. Yihui Cai explique ses recherches et détaille pourquoi cette propriété est intéressante : « Durant ma thèse, j’ai exploré une méthode de synthèse écologique permettant d’obtenir de grandes quantités de poudre de MAPI (un matériau pérovskite de référence). En modifiant le temps de broyage (de 30 minutes à 4 heures) et en sélectionnant des tailles spécifiques de poudre (< 20 µm), nous avons constaté que ces poudres dispersées dans un polymère absorbaient les ondes électromagnétiques, en particulier autour de 11,4 GHz, une fréquence utilisée dans les télécommunications. Cette propriété originale est liée à la formation de particules riches en défauts à leur surface, ce qui améliore l’interaction avec les ondes pour mieux les piéger » (figure 4).

Figure 4 : Observation au microscope électronique à balayage de la poudre de pérovskite MAPI après 30 minutes (MAPI30) et 4h (MAPI40) de broyage montrant des grains plus petits après 4h de broyage. Effet de la taille des poudres de MAPI4h pour l’absorption des ondes suivant que les particules sont de grosse taille (> 200 µm) ou de taille beaucoup plus petite (< 20 µm).

Publiés en mai 2025, ces travaux décrivent ce procédé de fabrication durable d’un matériau qui pourrait servir à protéger ou filtrer les ondes électromagnétiques dans lesquelles nous baignons en permanence (5G, Wifi, Ligne à haute tension, Bluetooth, etc.), par exemple dans des dispositifs de protection contre les interférences. Une technologie qui a attiré l’attention d’une agence du ministère des armées pour une application étonnante : « Nous pourrions imaginer des peintures composées de ces pérovskites « mécano-synthétisées » pour « camoufler » des véhicules. Les radars localisent les avions ou les sous-marins en émettant des ondes qui vont rebondir à leur surface et révéler leur position. Avec ce type de revêtement, les ondes seraient piégées au sein du matériau et ne reviendraient donc pas à l’émetteur du signal. Cette application intéresse naturellement la défense militaire, c’est pourquoi nous avons reçu des financements de l’agence Innovation Défense (AID) afin de poursuivre le développement de ce type de matériaux stratégiques » explique Sylvie Bégin-Colin qui a également reçu un financement ANR spécifiquement pour cette application.

La chercheuse précise également le rôle de la Fondation Jean-Marie Lehn dans l’élaboration de ces matériaux : « Nous avons remporté un appel à projets de la Fondation qui nous a permis de financer les expériences de Yihui durant sa thèse, qui, elle, était financée par une bourse du Ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur. Ce type de financement nous a permis de nous lancer sereinement dans ce type de projet exploratoire. C’était un projet atypique dans le laboratoire puisque personne de l’équipe ne faisait de mécanosynthèse à ce moment-là, ni ne travaillait sur ce type de matériaux. Yihui a été très impliquée pour mettre en oeuvre ces méthodes et a développé des collaborations avec le CEA de Grenoble, le synchrotron SOLEIL, une université américaine de Northwestern ou encore l’Université d’Anvers en Belgique où elle est restée 1 mois. Les fonds de la Fondation ont rendu cette aventure scientifique possible ».

D’autres applications de ces matériaux sont encore à l’étude. « Un autre article est d’ailleurs en cours de publication » dévoile Yihui Cai avec enthousiasme : « Cette fois-ci, les particules de pérovskites « mécano-synthétisées » sont associées à de fines couches de graphène et utilisées comme détecteurs de rayons X(CEA Grenoble) et comme photodétecteurs (ICUBE). Ce type de matériau peut s’avérer précieux dans le domaine de l’imagerie médicale ». En effet, lors d’une radio ou d’un scanner, les rayons X traversent le corps du patient. Selon les tissus rencontrés (os, organes, air…), une partie des rayons est absorbée et d’autres traversent les tissus pour être interceptés par un détecteur placé de l’autre côté. Les pérovskites peuvent être utilisées comme des détecteurs extrêmement précis : le matériau capte les rayons X et les transforme en signal électrique, qui est ensuite converti en image numérique. Ces matériaux peuvent potentiellement réduire en plus les dangers des rayons X pour les patients, car ils peuvent détecter les rayons X même à faible dose, et ce avec une meilleure résolution que les détecteurs actuels composés de tellurure de cadmium.

Les propriétés de ces matériaux hybrides sont aussi intéressantes dans le domaine du stockage de l’énergie, notamment dans les supercondensateurs et les batteries. Une chose est sûre, la caractérisation de ces nouvelles pérovskites hybrides a ouvert la voie à une multitude d’applications dans des domaines cruciaux pour l’avenir.

Référence

Enhanced Electromagnetic Wave Absorption in MaPbI3 Hybrid Perovskite Through a Defect-Tunable Green Synthesis. Yihui Cai et al., Small Structure 21 Mai 2025, https://doi.org/10.1002/sstr.202500066