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Andrey Klymchenko obtient un ERC pour créer des structures semblables à des neurones artificiels

Après un ERC consolidator Grant en 2015 et un ERC Proof of Concept en 2020, Andrey Klymchenko est lauréat de l’ERC Advanced Grant. Directeur de recherche CNRS du Laboratoire de Bioimagerie et Pathologies à Illkirch, le chercheur utilisera le prestigieux financement européen pour développer sur 5 années des biomatériaux synthétiques capables de capturer et de relarguer des molécules sur commande, à l’instar de neurones artificiels. Bien que fondamentales, les recherches menées par son laboratoire ouvrent des perspectives diagnostiques et thérapeutiques prometteuses.

La nanochimie et la bioimagerie : des outils nanoscopiques fluorescents au service de la santé

Depuis sa création en 2015, l’équipe du Dr Andrey Klymchenko développe et caractérise de nouveaux matériaux moléculaires et supramoléculaires – des sondes fluorescentes. Ces sondes sont des outils capables de détecter et de révéler des molécules d’intérêt au sein des cellules et des liquides biologiques, leurs applications sont principalement l’imagerie et le diagnostic. Par exemple, l’équipe a développé des sondes fluorescentes nanométriques qui s’allument en présence d’ADN et d’ARN cibles spécifiques de certaines pathologies (Figure 1A,B)1. Dans le futur, ces sondes pourraient servir au diagnostic de cancers et de maladies virales à partir de l’analyse de la fluorescence des sondes en contact avec des échantillons de patients. Cette technologie a conduit à la création de la start-up BrightSens Diagnostics en 2022, dédiée au développement de tests médicaux simples et  rapides à utiliser directement auprès des patients.

Figure 1 : (A) Principe de la sonde fluorescente à base de nanoparticules pour la détection de biomarqueurs d’ADN spécifiques des cellules cancéreuses, et (B) sa réponse bicolore en présence de la cible ADN, observée au microscope à fluorescence (chaque point correspond à une nanosonde). 1

Récemment, l’équipe a développé un concept chimique inédit pour détecter efficacement et rapidement certaines des plus petites molécules de notre organisme : les neurotransmetteurs (comme la dopamine)2. Des récepteurs artificiels spécifiques de la dopamine intègrent des molécules fluorescentes qui passent du rouge au bleu en présence du neurotransmetteur. Cette nouvelle méthode très sélective permet de doser la quantité de neurotransmetteurs en présence dans l’échantillon (Figure 2 A,B. Pour plus de détails, lire l’article dédié à cette technologie).

Figure 2 : (A) Création d’un gradient de neurotransmetteur dans un canal microfluidique et imagerie de ce gradient à l’aide de récepteurs artificiels basés sur des nanoparticules par microscopie à fluorescence (B). La couleur passe progressivement du rouge au bleu en fonction de la concentration de dopamine.2

Andrey Klymchenko souhaite maintenant relever un nouveau défi : transformer les sondes fluorescentes en matériaux actifs capables de détecter et de contrôler, par la lumière, la distribution de molécules biologiquement actives. C’est ce projet ambitieux qui a été sélectionné par le Conseil Européen de la Recherche.

Contrôler précisément la capture et la libération de molécules : un matériau bioinspiré aux potentielles applications médicales

Les cellules communiquent entre elles grâce à des molécules messagères, qui se lient à des récepteurs spécifiques situés à la surface des cellules cibles. Nos neurones communiquent également de la même manière en libérant des neurotransmetteurs à des récepteurs sur le neurone suivant, modulant son activité. De nombreuses pathologies surviennent quand le relargage et la recapture de ces molécules signal sont perturbées. C’est ce qu’il se passe, par exemple, dans le cerveau des patients dépressifs où certains neurotransmetteurs sont trop rapidement relargués. Un axe de recherche prometteur en chimie consiste à développer des matériaux intelligents capables de reproduire le comportement des neurones, afin de permettre une communication chimique entre des matériaux et des cellules.

Le projet CaptuRel financé par ce nouvel ERC vise à développer des biomatériaux capables de capturer des molécules messagers (comme des neurotransmetteurs) et de le relarguer sur commande. Le chercheur explique les bases de ce nouveau type de matériau : « Nous allons synthétiser des récepteurs artificiels, aussi appelés photocages, qui peuvent emprisonner une molécule cible quand elle passe à sa portée (figure 3), ce que permet dans un premier temps leur accumulation dans le biomatériau. Cette capture spécifique de neurotransmetteurs permet leur détection par fluorescence en milieu biologique. Pour relarguer la molécule, il suffira d’un stimulus lumineux induisant un changement d’affinité du récepteur. Ce biomatériau CaptuRel comporte une multitude de photocages qui capturent les molécules naturelles qui passent à proximité dans le milieu biologique. Une fois ces molécules accumulées, le photo-relargage va créer un gradient chimique à proximité du matériau, nécessaire pour la communication avec une cellule voisine ».

Figure 3 : Concept général du projet CaptuRel.

Bien que fondamentales, ces recherches pourraient sur le long terme mener à des dispositifs médicaux capables d’induire des réponses cellulaires contrôlées : « Certains neurotransmetteurs jouent un rôle clé dans la croissance des neurones et la formation de nouvelles connexions neuronales. En relarguant précisément ce type de neurotransmetteurs, nous testerons si ce biomatériau peut contrôler la croissance de neurones ou guider des connexions entre deux neurones ». Une fois les expériences validées in vitro sur des neurones isolés, Andrey Klymchenko poursuivra l’investigation sur des tissus vivants : « si tout ce passe bien, nous avons prévu des collaborations avec des laboratoires de neurobiologie où CaptuRel pourrait être testé localement sur des tissus cérébraux ex vivo. Ce serait déjà un pas de géant avant d’envisager réaliser des tests sur la souris ».

Avec 2,5M€ sur 5 ans, le chercheur compte embaucher 4 doctorants, 3 postdoctorants et s’équiper d’un microscope de pointe nécessaire pour le photocontrôle et l’imagerie des biomatériaux. Par leur longévité et leur montant, ces financements européens permettent aux scientifiques de limiter le temps dédié à la recherche de financement pour se consacrer à la recherche (tout court). Une bouffée d’air salutaire au service du développement de biomatériaux à fort potentiel thérapeutique.

Sources

1. Melnychuk, N.; Klymchenko, A.S. DNA-Functionalized Dye-Loaded Polymeric Nanoparticles: Ultrabright FRET Platform for Amplified Detection of Nucleic Acids, J. Am. Chem. Soc. 2018, 2018, 140, 10856. DOI: 10.1021/jacs.8b05840

 

2. Kozibroda, B. Lehn, J.-M. Klymchenko, A. S. Fluorescent Artificial Receptor for Dopamine based on Molecular Recognition-driven Dynamic Covalent Chemistry in a Lipid Nanoreactor, Angew. Chem. In. Ed. 2025, 64, e202419905. DOI : https://doi.org/10.1002/anie.202419905