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Une technologie non-invasive afin d’évaluer le potentiel allergisant de composés chimiques contenus dans les cosmétiques

Fréquente et trop souvent liée à l'usage de produits cosmétiques, la dermatite de contact allergique est une maladie cutanée difficile à prévenir. À Strasbourg, Elena Giménez-Arnau, Directrice de Recherche au CNRS à l'Institut de Chimie de Strasbourg (UMR 7177), développe une méthode non-invasive et innovante afin d’évaluer le potentiel allergisant de composés chimiques pouvant être à l’origine de cette pathologie à travers de mécanismes de type radicalaire, une technologie indispensable pour garantir la sécurité des consommateurs.

La dermatite de contact allergique : une réaction d’immunotoxicité cutanée répandue et liée au contact de xénobiotiques avec la peau

La dermatite de contact allergique, encore appelée eczéma de contact, est une inflammation locale de la peau déclenchée au contact de certaines substances, des molécules présentes par exemple dans des cosmétiques ou des fragrances. Environ 20% de la population générale présente une sensibilisation à au moins un allergène de contact 1, une tendance à la hausse depuis plusieurs années corrélée avec la hausse de la consommation de produits cosmétiques, un marché en plein essor. Soins de la peau, crèmes solaires, lotions capillaires, parfums, maquillages… de nombreux produits, notamment popularisés par les influenceuses beauté sur les réseaux sociaux, peuvent contenir une ou plusieurs molécules à l’origine de dermatite de contact.

L’industrie des cosmétiques fait face à une réglementation stricte en Europe qui régule la toxicité des composés chimiques présents dans les produits de consommation. Parmi ces molécules problématiques, certaines se révèlent allergisantes ou irritantes uniquement sous l’effet du soleil. Dans la batterie d’outils pour tester les produits cosmétiques et leurs ingrédients, aucun n’a été encore validé pour évaluer les molécules photoallergisantes et les distinguer des molécules photoirritantes.

Une chercheuse strasbourgeoise étudie les mécanismes chimiques et moléculaires de la dermatite de contact allergique

Elena Giménez-Arnau est spécialiste dans l’étude des mécanismes chimiques et moléculaires à l’origine de la sensibilisation cutanée et de l’ allergie de contact induites par des substances étrangères à l’organisme (des substance dites xénobiotiques). Au sein du laboratoire « Propriétés Optiques et Magnétiques des Architectures Moléculaires » (POMAM, Strasbourg), elle se situe en conséquence à l’interface entre la chimie et la biologie. 

« Ces réactions cutanées sont des allergies bien particulières pour lesquelles il n’y a pas d’autre traitement que l’évitement des substances allergisantes. Contrairement aux allergies alimentaires ou respiratoires, ce ne sont pas les mêmes acteurs du système immunitaire qui sont en jeu et aucune désensibilisation n’est possible », précise la chercheuse soulignant l’importance du contrôle des molécules utilisées dans les cosmétiques. « Le processus d’immunotoxicité caractérisant la dermatite de contact allergique débute quand la molécule allergisante interagit avec des protéines de la peau pour former ainsi une entité antigénique (c’est-à-dire un complexe moléculaire reconnu comme étranger par notre système immunitaire).Cette entité activera alors le système immunitaire qui déclenchera une réaction de défense suite à un nouveau contact avec l’allergène. Dans le cas de certaines molécules allergisantes, cette réaction avec les protéines cutanées se produit au travers de la formation d’espèces radicalaires, des molécules instables parce que très réactives qui peuvent réagir avec les protéines cutanées et ainsi induire une sensibilisation ».

Depuis de nombreuses années, le docteur Giménez-Arnau s’est penchée sur l’étude des mécanismes radicalaires déclenchant des dermatites cutanées, en étroite collaboration avec le docteur Bertrand Vileno, également chercheur au PONAM. Dernièrement, elle s’est intéressée plus particulièrement aux réactions photoallergiques et photoirritantes déclenchées sous l’effet du Soleil. « Certains cosmétiques, des parfums et même des médicaments en vente libre, peuvent déclencher des réactions inflammatoires cutanées importantes quand on s’expose au soleil. C’est le cas du kétoprofène, un antiinflammatoire non stéroïdien utilisé dans des crèmes pour des douleurs musculaires et articulaires, mais aussi de certains filtres solaires utilisés dans les produits cosmétiques » avertie la chercheuse en précisant que certains produits étiquetés « naturels » peuvent paraitre plus sûrs et pourtant comporter des composés allergisants une fois exposés au soleil.

Elena Giménez-Arnau précise que ce ne sont pas toujours les mêmes espèces radicalaires qui déclenchent les réactions cutanées : « les radicaux dérivés de l’oxygène (appelés ROS) sont déjà connus pour leur implication dans le vieillissement cutané et ont été identifiés comme responsables des dermatites photo-irritantes (réaction immédiate, entrainant rougeurs, brûlures, démangeaisons). Les radicaux centrés sur un atome de carbone pourraient eux être responsables des dermatites photo-allergiques (une réaction retardée pouvant entrainer eczéma, vésicules ou plaques) ». Deux types de réactions que les industriels doivent pouvoir identifier quand ils testent leurs produits et que le laboratoire d’Elena Giménez-Arnau a ciblées pour mettre au point de nouveaux tests indispensables à la sécurité des consommateurs.

Un financement de la Fondation Lehn pour développer un test de dépistage des substances photoallergisantes et photoirritantes

En 2024, le laboratoire d’Elena Giménez-Arnau a publié des travaux originaux 2 où les auteurs ont démontré expérimentalement la génération de radicaux à partir de photo-allergènes dans un modèle cutané. « Dans cette étude, nous avons utilisé de l’épiderme humain reconstitué. C’est un modèle 3D de peau qui simule la structure de l’épiderme humain avec de vraies cellules humaines en culture, très proche de la réalité (Figure 1) » explique la chercheuse en précisant que cette technologie permet de contourner l’expérimentation sur les animaux, interdite en Europe dans le domaine du cosmétique.

Figure 1 : Vue microscopique d’Épiderme Humain Reconstitué (RHE) et de peau humaine. La nature des cellules et leur structure sont très similaires.
« L’épiderme humain reconstitué est disposé dans une cellule plate et traité avec les substances suspectées pour leur effet photo-irritant ou photo-allergisant en présence de lumière. La difficulté est de détecter les radicaux produits, car ce sont par définition des intermédiaires instables difficiles à saisir. Nous avons donc utilisé une technique appelée « spin trapping » : l’épiderme humain reconstitué est préalablement traité avec un composé appelé « piège à radicaux » qui capture les radicaux issus du (photo)-allergène, formant un produit stable qui peut ensuite être détecté par Résonance Paramagnétique Électronique (RPE). Avec cette méthode, nous pouvons identifier les radicaux générés dans le tissu cutané pour chaque substance lors de l’exposition à la lumière » (figure 2).
Figure 2 : Détails du protocole de test : Un composé de type « piège à radicaux » (spin trap) est déposé sur les Épidermes Humain Reconstitués (RHE), puis incubé 15 minutes à 37°C. Le RHE est ensuite déposé sur une cellule plate, la molécule à tester est appliquée à la surface, puis soumise à un rayonnement à l’aide d’un simulateur solaire. L’échantillon est ensuite analysé par Résonance Paramagnétique Electronique (RPE) et les résultats indiquent la présence (ou l’absence) de radicaux libres formés ainsi que leur nature.

La genèse de ce projet a débuté lorsque Elena Giménez-Arnau remporte un appel à projets de la Fondation Jean-Marie Lehn destiné à récompenser les projets ambitieux portés par de jeunes chercheurs.euses souhaitant développer leur propre thématique indépendamment de celle de leur directeur.trice de laboratoire. « À l’époque j’étais chargée de recherche, et ce financement m’a permis de recruter un doctorant brillant qui a développé cette technologie. C’était une formidable opportunité pour se lancer dans un projet exploratoire qui s’est avéré prometteur. Depuis, je suis devenue Directrice de Recherche en 2020 et j’ai pu obtenir cette année un nouveau financement de la Fondation pour développer ces tests, produire une preuve de concept solide afin de rendre cette méthode industrialisable et utilisable par les industries des cosmétiques ». Ce dernier financement permettra d’acquérir un spectromètre spécifiquement destiné aux recherches menées au sein du laboratoire POMAM à l’interface chimie-biologie, et de renforcer l’équipe par de nouveaux recrutements.

Le développement de cette méthode illustre l’importance des financements amonts afin de mieux comprendre les mécanismes de cette pathologie cutanée, mais également de développer des solutions de diagnostics qui s’avèrent indispensables pour la santé des nombreux consommateurs de produits cosmétiques.

Sources : 

1.      Prevalence of contact allergy in the general population: À systematic review and meta-analysis. Alinaghi F, Bennike NH, Egeberg A, Thyssen JP, Johansen JD. Contact Dermatitis. 2019 Feb;80(2):77-85. doi: 10.1111/cod.13119. Epub 2018 Oct 29. PMID: 30370565. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30370565/

2.      Probing skin photoallergens in reconstructed human epidermis: An EPR spin trapping investigation. Yannick Port-Lougarre, Guillaume Voegeli, Bertrand Vileno, Elena Gimenez-Arnau, 27 August 2024, https://doi.org/10.1111/php.14010