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Quand la relève scientifique rencontre les Nobel : immersion d’une jeune chercheuse dans les Lindau Nobel laureate Meetings

Depuis 74 ans en Allemagne, les Lindau Nobel Laureate Meetings visent chaque année à favoriser les échanges entre la jeune génération de scientifiques talentueux et des dizaines de lauréats du prestigieux prix Nobel. Anna Zhuravlova, récemment diplômée d’un doctorat de chimie à l’Université de Strasbourg et chercheuse à l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires (ISIS, Strasbourg), a eu l’honneur d’être sélectionnée pour participer à ces rencontres exceptionnelles cet été. Zoom sur ses recherches et retour sur une expérience hors du commun.

Une thèse remarquée dans le développement de matériaux innovants pour l’électronique et d’outils de contrôle de la qualité de l’eau

Anna Zhuravlova est une jeune chercheuse ukrainienne venue en 2020 à Strasbourg en dernière année de master « Chimie et Physique des matériaux » à Strasbourg . En 2021 poursuit ses études et entame un doctorat dans le domaine des nanomatériaux. À la frontière entre la physique et la chimie, elle s’est concentrée sur le développement de matériaux chimiquement adaptatifs/réactifs et de dispositifs électroniques à hautes performances.

En partie, son projet de thèse a consisté à développer des matériaux innovants pour répondre à des problématiques environnementales à l’instar de la qualité de l’eau, préoccupation majeure pour la santé publique. Aujourd’hui, de nombreux polluants industriels polluent les cours d’eau, comme les ions cobalt (Co²⁺) issus notamment des batteries, pigments et alliages. Pour contrôler la qualité de l’eau dans l’environnement, les scientifiques manquent d’outils simples et portables capables de détecter rapidement ces pollutions de type métalliques sans recourir à des analyses de laboratoire coûteuses.

Durant sa thèse, la chercheuse explique qu’elle a développé un dispositif original afin de détecter spécifiquement les ions Co²⁺ : « Ce nouveau capteur est basé sur un nanomatériau appelé MoS₂, un semi-conducteur en couches très minces, auquel ont été greffées des molécules portant un motif terpyridine qui se lient sélectivement aux ions Co²⁺ . Lorsque l’eau testée contient ce polluant, même en très faible quantité, les ions Co²⁺ se fixent et modifient localement le transport des charges dans le film du MoS₂ traité en solution, ce qui change sa résistance électrique et constitue un signal que nous pouvons détecter facilement. La détection des ions Co²⁺ est difficile,

car ils sont chimiquement très proches d’autres ions métalliques, ce qui brouille le signal d’un capteur non spécifique. Ici, avec ce dispositif, nous avons réussi à détecter avec une très bonne spécificité les ions Co²⁺ et non d’autres ions en solution, c’est une preuve de concept réussie. Avec cette méthode générale, nous pourrons réaliser d’autres dispositifs similaires pour détecter d’autres composés polluants, voire plusieurs composés en même temps ».

Cet ingénieux dispositif a fait l’objet d’une publication en 2023, des travaux qui ont valu à Anna Zhuravlova un prix de l’European Materials Research Society (E-MRS Young Researcher Award) en 2024. Un parcours remarquable qui lui a certainement permis d’accéder aux très sélectives rencontres de Lindau en Allemagne.

Une sélection internationale de haut niveau pour rencontrer des lauréats du prix Nobel de chimie

Cet évènement international est extrêmement sélectif : « Nous sommes nombreux à vouloir vivre cette expérience et il y a plusieurs étapes de sélection, c’était un véritable honneur d’avoir été choisie » précise la chercheuse qui a également présenté ses travaux devant des centaines de participants présents à la 74e édition de ces rencontres à Lindau. « Il y a une atmosphère incroyable, c’est très exaltant. C’est surréaliste de rencontrer des scientifiques aussi prestigieux et en même temps c’est rassurant de les entendre raconter, simplement, que certaines de leurs découvertes sont nées par hasard (la fameuse sérendipité !). Cela montre qu’ils restent profondément humains et approchables, loin de l’image de “superhéros” que l’on pourrait avoir d’eux » plaisante la jeune chercheuse en précisant que deux rencontres avec des lauréats de prix Nobel ont été particulièrement fortes : « J’ai eu la chance de faire partie d’un petit groupe invité à discuter avec Moungi Bawendi, le lauréat du prix Nobel de chimie 2023 qui a mis au point des nanoparticules de matériau semi-conducteur connus sous le nom de « quantum dots », qui sont largement utilisés dans les affichages électroniques. On pourrait penser que nous avons beaucoup parlé de science, mais pas seulement ! C’était avant tout des échanges informels sur la manière dont il a su faire face à certaines difficultés et comment gérer une carrière prestigieuse et sa vie privée. Il était accessible et l’échange avec beaucoup d’ouverture. J’ai également été impressionnée par Frances Arnold, lauréate du prix Nobel 2018. Une femme tellement inspirante ! Son sujet de recherche est éloigné du mien, mais nous avons pu échanger sur les réalités de ce métier ».

Qu’est ce que les Lindau Nobel laureate Meetings ?


  • Un évènement de rencontres scientifiques annuel prestigieux créé en 1951. Les 74e rencontres ont eu lieu du 29 juin au 4 juillet 2025 sur la thématique de la chimie.
  • Cette année : 606 jeunes scientifiques (étudiants de licence, master, doctorants et postdoctorants) venant de près de 100 pays différents. Parmi eux, 11 français ont été sélectionnés pour rejoindre l’évènement.
  • Plus de 30 lauréats de prix Nobel présents
  • De nombreux évènements sous forme de conférences de lauréats du prix Nobel, des sessions de discussion entre Nobel et étudiants dans des cercles informels, des « NextGen Science sessions » où de jeunes scientifiques sélectionnés présentent leurs propres recherches, des tables rondes consacrées aux grandes questions actuelles de la science.

Cet événement a été aussi l’occasion de rencontrer de nombreux jeunes scientifiques talentueux avec qui elle a pu discuter de ce que vivent les jeunes scientifiques aujourd’hui « les difficultés que peuvent rencontrer les chercheurs et chercheuses en début de carrière ne sont pas forcément celles que les lauréats du Nobel ont pu avoir il y a 20 ou 30 ans. Échanger avec mes pairs a été un des meilleurs aspects de ces rencontres. Participer à cet événement vous permet d’être dans le réseau d’Alumni des Lindau meetings, un bon moyen de garder contact et de se construire un réseau de qualité. Je conseille à tous les jeunes chercheurs et chercheuses de tenter leur chance pour saisir cette opportunité ».

Anna Zhuravlova a depuis soutenu sa thèse le 4 septembre et poursuit ses travaux au sein du laboratoire de Nanochimie dirigé par Paolo Samorì, son directeur de thèse : « je reste 12 mois finaliser quelques autres types de dispositifs développés durant mon doctorat. Par la suite, je suis décidée à poursuivre un postdoctorat dans un domaine plus fondamental à l’interface de la chimie et de la physique. J’avais déjà pour ambition de poursuivre une carrière académique, mais participer aux Lindau meetings m’a d’autant plus encouragée à poursuivre dans cette voie ! Côtoyer tous ces scientifiques inspirants vous donne le sentiment que c’est possible, que vous êtes légitime à être là et à y rester »

La devise des rencontres de Lindau est d’ « éduquer, inspirer, connecter », trois promesses visiblement tenues pour cette jeune chercheuse en devenir.

4 septembre 2025, Anna Zhuravlova après la soutenance de sa thèse dirigée par Paolo Samorì et Artur Ciesielski. Left to right : A. Ciesielski, A. Zhuravlova, Cécilia Ménard-Moyon (président de jury), P. Samorì.