PFAS : à Strasbourg, des chercheurs développent des alternatives aux polluants éternels
Les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) sont une famille de composés chimiques synthétiques couramment utilisés depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, mais aussi dans la composition de certains médicaments pour leur stabilité métabolique, lipophilie et propriétés physico-chimiques qui augmentent l’efficacité des médicaments au sein de notre organisme. Présents dans de nombreux produits du quotidien (emballages alimentaires, textiles, mousses anti-incendie, lubrifiants, médicaments, produits phytosanitaires, etc.), ils posent un problème majeur en raison de leur extrême persistance dans l’environnement et dans l’organisme, d’où leur surnom de «polluants éternels ».
L’accumulation de certaines PFAS est associée à divers risques pour la santé, notamment des troubles hormonaux, des cancers et des effets sur le système immunitaire, rendant leur régulation un enjeu de santé publique. Face à cette menace, l’Assemblée nationale a voté en avril 2024 une interdiction progressive de l’utilisation des PFAS à partir du 1er janvier 2026, la recherche d’alternative à ces molécules devient donc une urgence sanitaire.
Frédéric Leroux, directeur de recherche au CNRS au Laboratoire d’Innovation Moléculaire et Applications (LIMA) de Strasbourg et également directeur du Réseau français du fluor (GIS CNRS Fluor), étudie depuis de nombreuses années des composés chimiques capables de remplacer les PFAS, notamment dans l’industrie du médicament et des produits phytosanitaires : « Les PFAS représentent une vaste famille de molécules. Certaines PFAS à chaîne courte à moyenne, particulièrement persistantes et toxiques, ont été interdites en Europe dès 2009, comme les PFOS. Solubles dans l’eau et très mobiles, elles contaminent les eaux souterraines et de surface, et peuvent être transportées jusqu’en Antarctique. Ce phénomène en fait un problème d’ampleur planétaire. »
Une crise sanitaire mondiale et des alternatives à trouver d’urgence
L’équipe de Frédéric Leroux se concentre principalement sur la recherche d’alternatives pour les médicaments et les produits phytosanitaires : « La réglementation européenne utilise une définition très large pour définir les PFAS, en incluant des molécules fluorées de type -CF3 et -CF2. Les molécules fluorées sont présentes dans 18% des médicaments et 53% des substances phytosanitaires utilisées pour l’agriculture 1. Certains médicaments ne fonctionneraient simplement pas sans ces groupements fluorés, car ils permettent aux molécules thérapeutiques de résister à l’acidité de l’estomac une fois ingérées. Ils permettent également à la molécule de pénétrer les membranes cellulaires pour atteindre leur cible. Nous développons de nouveaux groupements fluorés qui garderaient tous ces avantages, mais qui seraient ensuite dégradés au sein de notre organisme. Pour l’agrochimie, ces nouveaux groupements permettraient également d’obtenir des molécules suffisamment stables pour être efficaces, mais dégradables à court terme dans les sols ».
Une recherche en collaboration avec l’industrie
Conscient de l’importance de l’enjeu sanitaire, Frédéric Leroux précise la nécessité de travailler avec les industriels : « Développer des groupements fluorés émergents est une chose, mais il faut ensuite que les industriels s’en saisissent pour que ces recherches aient un impact. Dès 2014, nous avons créé un laboratoire commun avec un des leaders mondiaux de la production de médicaments et de produits phytosanitaires : Bayer. Cette collaboration nous permet de connaitre leurs contraintes, leurs problématiques, de réfléchir dès le départ aux moyens de production à l’échelle industrielle de ces molécules avec des procédés de fabrication durables et à bas coûts. »
En 10 ans, 12 brevets ont été déposés en copropriété entre Bayer et le CNRS. Deux fongicides contenant un groupement fluoré alternatif, le difluorométhyle (-CHF2), ont été développés et leur efficacité se conjugue désormais avec une biodégradabilité remarquable. « C’est aussi une question de souveraineté, nous ne pouvons pas nous permettre de dépendre des industries pharmaceutiques hors de l’Europe », précise le chercheur.
Financer la recherche fondamentale : une nécessité pour l’émergence de solutions inédites
Frédéric Leroux précise que ce domaine de recherche est très compétitif : « l’enjeu est de taille et les équipes de recherche travaillant aux alternatives aux PFAS sont nombreuses. Malheureusement, les financements nationaux et régionaux sont très limités. La Fondation Jean-Marie Lehn est une véritable bouffée d’air, car elle nous a permis de financer des projets exploratoires prometteurs ». Lauréat d’un appel à projets de la Fondation en 2021, Frédéric Leroux a pu financer une thèse afin de développer une méthode pour construire des molécules comportant le groupement difluorométhyle, groupement fluoré alternatif à fort potentiel. Ce dernier ne rentre pas dans la catégorie des PFAS, mais conserve des propriétés essentielles en pharmacologie, notamment sa lipophilie, qui facilite la pénétration cellulaire des molécules thérapeutiques.
Le projet consistait également à produire des molécules tridimensionnelles, potentiellement plus adaptées aux interactions avec les protéines cibles des médicaments. Contrairement aux agencements moléculaires plats, les architectures 3D peuvent offrir une plus grande diversité structurale, augmentant les chances de découvrir des composés actifs sur les cibles biologiques, ainsi qu’une meilleure affinité avec ces dernières, améliorant ainsi l’efficacité et la spécificité des traitements.
Frédéric Leroux explique que ces structures 3D ont un fort potentiel thérapeutique, mais peuvent présenter des inconvénients : « Certaines structures 3D sont prometteuses, mais elles doivent être soigneusement sélectionnées. Par exemple, certaines molécules interagiront correctement avec la protéine cible souhaitée, tandis que leur image miroir – comme nos deux mains qui sont semblables mais non superposables – pourrait provoquer des effets secondaires indésirables. Il est donc crucial de pouvoir synthétiser et isoler spécifiquement la bonne forme moléculaire. »
Une avancée majeure dans la synthèse de nouvelles molécules
Les travaux réalisés au LIMA ont permis, en 2023, la synthèse de molécules tridimensionnelles contenant des groupements difluorométhyle (-CHF2) avec un excellent contrôle de leur structure. Cette preuve de concept a confirmé la viabilité de ces nouveaux composés comme alternatives aux PFAS. En 2024, la méthode de synthèse a été transposée à des composés porteurs d’autres groupements fluorés, et la sélectivité des formes miroir optimisée. Les résultats de ces recherches feront bientôt l’objet d’une publication.
L’objectif à long terme est d’intégrer ces nouvelles briques moléculaires dans la conception de médicaments plus performants et respectueux de l’environnement.
Source
1.Direct Deprotonative Functionalization of α,α-Difluoromethyl Ketones using a Catalytic Organosuperbase. A. Messara, A. Panossian, K. Mikami, G. Hanquet, F. R. Leroux, Angew. Chem. Int. Ed. 2023, 62, e202215899; Angew. Chem. 2023, 135, e202215899.