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Récepteur artificiel ultra spécifique à la dopamine : vers le diagnostic médical des pathologies cérébrales

Dans notre organisme, la variation de concentration de certaines molécules peut-être un signal d’alerte annonçant une pathologie en développement, bien avant l’apparition des premiers symptômes. Pouvoir quantifier avec précision la production de certaines de ces molécules permettrait de prévenir un grand nombre de maladies à des stades très précoces.

L’équipe Matériaux Photoactifs et Bioimagerie (Université de Strasbourg – CNRS) dirigée par Andrey Klymchenko en collaboration avec le prix Nobel Jean-Marie Lehn ont développé un concept chimique inédit pour détecter efficacement et rapidement certaines des plus petites molécules de notre organisme : les neurotransmetteurs. Composés chimiques libérés par les neurones, les neurotransmetteurs sont les témoins de la santé de notre cerveau. Leur dosage dans le sang ou les urines des patients permet de détecter des maladies neurodégénératives (comme Parkinson ou Alzheimer), des troubles dépressifs ou des syndromes épileptiques.

Un outil prometteur tant sur le plan médical que fondamental

Andrey Klymchenko explique l’originalité de cette nouvelle méthode, publiée en janvier 2025 dans le journal Angewandte Chemie International Edition : « Il existe aujourd’hui des méthodes fastidieuses pour doser les neurotransmetteurs dans l’urine des patients qui nécessitent d’être réalisées dans des laboratoires spécialisés et qui peuvent prendre du temps. Nous avons développé un concept de récepteur artificiel qui pourrait permettre dans le futur d’analyser un grand nombre de neurotransmetteurs en même temps, en quelques minutes. »

L’équipe étant spécialisée dans la conception de molécules fluorescentes et des nanomatériaux a mis au point un ingénieux système supramoléculaire de mesure par fluorescence de la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans de nombreuses pathologies : « Nous avons conçu le récepteur artificiel nanoscopique. Il est composé d’une molécule fluorescente qui émet de la lumière rouge, mais une fois liée à un groupement chimique caractéristique des neurotransmetteurs (ici la dopamine), sa structure se modifie et cette molécule émet de la lumière bleue. Cette technique nous permet de visualiser et doser la concentration de dopamine, mais ce n’était pas spécifique, il a fallu inventer un système pour que seule la dopamine soit reconnue (et non les autres neurotransmetteurs). Pour ce faire, nous avons placé ces molécules fluorescentes dans des gouttelettes lipidiques nanoscopiques, aucun neurotransmetteur ne peut y pénétrer sans un coup de pouce. C’est ici qu’intervient une molécule (ligand) qui reconnait très spécifiquement (comme la clé et la serrure) la dopamine dans des gouttelettes et qui va assurer son passage à l’intérieur afin de lier la molécule fluorescente.»

Principe du récepteur artificiel. 

En absence de dopamine, la molécule fluorescente émet une lumière rouge. En présence du neurotransmetteur, la molécule de reconnaissance se lie à la dopamine et lui permet d’être intégré dans la gouttelette. La dopamine peut alors se lier avec la molécule fluorescente qui émet alors une lumière bleue.

Photographie au microscope des nanogouttelettes en fonction de la concentration de dopamine. Le ratio bleu/rouge varie conformément aux attentes : des gouttelettes bleues pour les hautes concentrations de dopamine à gauche, une grande quantité de gouttelettes rouges aux faibles concentrations à droite (les couleurs intermédiaires témoignent du mélange rouge/bleu).

Le chercheur précise que l’expérience a été réalisée en présence de nombreux autres neurotransmetteurs afin de tester la spécificité de la méthode : « Seule la dopamine pénètre dans les gouttelettes, c’est une détection hautement spécifique. Nous avons maintenant une preuve de concept valide démontrant l’efficacité de ce nouvel outil. L’avantage de cette méthode, c’est que nous pourrons prochainement tester si elle fonctionne pour d’autres neurotransmetteurs en concevant pour chacun d’eux un récepteur spécifique. »


Plus qu’un outil de diagnostic, cette nouvelle technique pourrait également être développée pour visualiser la production spécifique de chaque neurotransmetteur directement dans des organismes vivants. L’objectif serait de mieux comprendre l’activité neuronale sur modèle animal sans avoir à créer des organismes génétiquement modifiés. En effet, ces nanogouttelettes pourraient être injectées aux abords des neurones à étudier afin de mesurer leur activité via microscopie de fluorescence pour visualiser des neurotransmetteurs émis.

Un projet à haut risque : l’audace récompensée

Développer cette technique jamais tentée auparavant était clairement un pari risqué « C’est difficile d’obtenir des financements pour développer une technique comme celle-ci, nous n’avions aucune garantie que ça allait marcher. Avec Prof. Jean-Marie Lehn , nous avons pu co-financer la thèse de l’étudiant, Bohdan Kozibroda, qui a réalisé les expériences, un étudiant brillant issu de l’École Universitaire de Recherche en Chimie (SysChem) que la Fondation soutient. L’année dernière, mon équipe a également bénéficié d’un financement conséquent de la Fondation pour développer ce nouveau concept. À toutes les étapes de ce projet, la Fondation était présente pour nous soutenir, d’une manière ou d’une autre ». Lauréat d’un appel à projets de la Fondation Jean-Marie Lehn, Andrey Klymchenko compte bien explorer la possibilité d’appliquer sa méthode à d’autres neurotransmetteurs. Ces fonds lui permettront également d’améliorer l’affinité de son récepteur afin d’obtenir des détections de dopamine à des concentrations plus faibles, plus proche des concentrations physiologiques.

À moyen terme, le chercheur ne cache pas son ambition de porter ce projet en maturation. Le chercheur n’en est pas à son coup d’essai, il est à l’origine de la création de deux Start-up : BrightSens Diagnostics, qui conçoit des nanoparticules fluorescentes pour détecter les cancers et les virus, et AstraNICE qui développe un revêtement fluorescent pour aider les chirurgiens à mieux visualiser les organes durant les opérations.

Source

Fluorescent Artificial Receptor for Dopamine based on Molecular Recognition-driven Dynamic Covalent Chemistry in a Lipid Nanoreactor. Kozibroda, B., Lehn, M., & Klymchenko, A. S. Angewandte Chemie International Edition, 13 janvier 2025.

DOI : https://doi.org/10.1002/anie.202419905