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Un matériau novateur permet de capturer le CO2 et des contaminants industriels

Des matériaux organométalliques aux propriétés fascinantes et aux applications environnementales prometteuses ont été développés à l’Université de Strasbourg et au CNRS. Zoom sur cette nouvelle technologie qui ambitionne de rendre nos industries plus propres.

Des nouveaux matériaux à fort potentiel

À l’heure de la transition écologique, rendre les procédés de fabrication des industries plus durables et moins impactants pour l’environnement devient une priorité qui n’a pas échappé aux chercheurs.

De nombreux laboratoires tentent de développer des innovations capables de lutter contre deux types de pollution : la production de gaz à effet de serre et le rejet de composants polluants. Les réseaux métallo-organiques (ou metal–organic frameworks, appelés MOF) ont la particularité d’être criblés de pores ordonnés et de tailles constantes, une propriété dite adsorbante qui leur permet de séquestrer des composés précis à leur surface, tels que des polluants ou même le CO2 (un des principaux gaz à effet de serre responsable du dérèglement climatique).

Benoît Louis, chercheur à l’Institut de chimie et procédés pour l’énergie, l’environnement et la santé (ICPEES) et Jean-Marc Planeix, enseignant-chercheur au laboratoire de tectonique moléculaire : réseaux moléculaires organiques et métallo-organiques, ont décidé de mettre en commun leurs expertises pour mener des recherches dédiées à la conception et à l’utilisation de nouveaux MOF.  Leurs recherches ont pour objet d’apporter des solutions à divers défis de cette transition .

Ces matériaux, certes prometteurs, comportent une faiblesse de taille : la majorité sont instables dans l’eau où ils perdent leur propriété adsorbante. « Le CO2 rejeté par les grandes cheminées des usines est toujours accompagné de vapeur d’eau et d’autres contaminants. Leur présence rend impossible d’utiliser les MOF dans ces conditions » précise le jeune chercheur Nizami Israfilov recruté en 2019 pour mener ce projet.

Un jeune chercheur talentueux pour relever le défi

Originaire d’Azerbaïdjan et diplômé d’un Master de l’Université de Toulon, Nizami Israfilov se lance dans l’aventure doctorale avec enthousiasme : « L’objectif de mes recherches était d’améliorer des MOF déjà existants. En ajoutant des fragments de molécule à un ligand connu et en associant cette nouvelle molécule à d’autres constituants, nous avons pu obtenir un MOF aux propriétés étonnantes nommé SUM-103 (SUM : Strasbourg University Material). »

SUM-103 dépasse les attentes du chercheur: il est très stable en milieu aqueux et permet de fixer le CO2 plus efficacement que les premiers MOF comparables. Les tests d’adsorption de contaminants sont également prometteurs. SUM-103 s’est révélé très efficace pour dépolluer l’eau de colorants, notamment le bleu de méthylène, colorant largement utilisé pour teinter nos vêtements (figure 1). Cette propriété n’est pas anecdotique : aujourd’hui, 20% de la pollution mondiale des eaux provient de l’industrie textile, essentiellement à cause des teintures1.

Le potentiel de ce matériau est rapidement remarqué et sa thèse récompensée par plusieurs prix. Nizami Israfilov est lauréat 2021 du concours « Mature your PhD » de SATT Conectus (le service de valorisation de l’Université de Strasbourg), puis en 2022, il remporte le concours I-PhD de la banque publique d’investissement (BPI), deux programmes soutenant les jeunes docteurs créateurs de technologies de rupture.

Nizami Israfilov (à droite) lors de la remise du prix du concours I-PhD en présence d’un de ses directeurs de thèse Benoît Louis (à gauche) et de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Sylvie Retailleau. Juillet 2022

Du laboratoire académique au marché

L’objectif est désormais de mettre cette innovation à disposition des industries. Une fois sa thèse soutenue en septembre 2022, Conectus a proposé un financement postdoctorat de 18 mois à Nizami Israfilov afin de réaliser des tests supplémentaires. Le jeune docteur précise qu’« il faut maintenant analyser l’efficacité de ce nouveau matériau en conditions réelles, par exemple tester sa capacité d’adsorption du CO2 en présence d’autres gaz, sa capacité à sélectionner précisément les contaminants ciblés ». Le chercheur travaille également à réduire le prix de fabrication du SUM-103 afin d’envisager l’industrialisation à grande échelle du matériau. « Après cette dernière phase de tests, plusieurs options sont possibles pour exploiter notre brevet : créer une start-up, passer par une licence d’exploitation, etc. Je suis également ouvert à toutes collaborations avec des entreprises pour co-concevoir des solutions sur mesure à partir de leurs besoins. »

Le développement de ce nouveau matériau aux multiples applications illustre le formidable potentiel d’innovation des laboratoires académiques, une démonstration de l’émergence d’applications concrètes issues de recherches exploratoires risquées qu’il est nécessaire de soutenir sur le long terme.

 

 

 

1. https://www.europarl.europa.eu/news/en/headlines/society/20201208STO93327/the-impact-of-textile-production-and-waste-on-the-environment-infographic