Une macromolécule bactéricide et vecteur de principes actifs en cours de développement à Strasbourg
La résistance aux antibiotiques est devenue l’un des défis les plus préoccupants en matière de santé publique mondiale. L’ONU estime que d’ici 2050, l’antibiorésistance causera la mort de 10 millions de personnes chaque année.
Face à l’enjeu, l’équipe « Polyélectrolytes, Complexes, et Matériaux » (PECMAT, Institut Charles Sadron à Strasbourg) développe de nouvelles molécules bactéricides aux propriétés surprenantes. Dr Fouzia Boulmedais précise l’originalité de leur découverte : « Nous avons développé un polymère en forme de peigne possédant des composés chargés positivement en alternative aux antibiotiques classiques. Ces charges positives viennent interagir et perturber les composés de la membrane chargée négativement des bactéries. En synthétisant cette molécule, nous avons observé également une propriété inattendue : ce polymère est insoluble dans l’eau à température ambiante donnant une solution trouble, mais quand nous tenons nos tubes assez longtemps pour que la chaleur de nos doigts réchauffe la solution, nous avons constaté avec étonnement qu’il devenait soluble ! » Cette particularité n’a rien d’anecdotique. Ce changement de conformation permet d’emprisonner d’autres molécules thérapeutiques au sein du polymère quand il est à température ambiante, puis une fois à température du corps, le polymère se déploie, libérant son contenu.
Le Dr Delphine Chan-Seng, chimiste en charge du projet, précise l’avantage d’emprisonner un deuxième composé : « L’idée est de séquestrer de la vitamine E à l’intérieur de notre polymère. Cette vitamine a des vertus antioxydante et anti-inflammatoire. Combiné avec l’action antibactérienne du polymère, cette double action permet de faire une pierre deux coups : éliminer les bactéries et limiter les inflammations aiguës dans des plaies infectées ».
Ce nouvel antibiotique « double emploi » pourrait être utilisé par voie orale, mais aussi sous forme de pansement favorisant la cicatrisation par la libération d’un agent cicatrisant naturel une fois au contact de la plaie. Ce polymère multifonction pourrait également couvrir des matériaux destinés à être implantés dans le corps, comme les implants dentaires et les cathéters où le risque d’infection est accru. « Des tests de toxicité sur cellules humaines sont en cours et les premiers résultats sont très encourageants : le polymère n’affecte pas nos cellules aux concentrations nécessaires à son fonctionnement », précise Fouzia Boulmedais.
L’objectif final est la mise à disposition des patients de ce nouveau médicament. La chercheuse nous rappelle que le chemin est long entre l’idée audacieuse et la mise sur le marché : « C’est un projet qui aujourd’hui semble prometteur, mais qui était au départ très exploratoire. C’est une chance de disposer à Strasbourg de la Fondation Jean-Marie Lehn qui finance ce type de projet à risques. Ce premier financement a eu un bel effet levier : nous avons pu embaucher une postdoctorante expérimentée qui a développé une première preuve de concept nécessaire pour convaincre d’autres organismes de financement, à l’instar de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) en mars 2023 ». Aujourd’hui, le laboratoire a déposé un brevet et obtenu en 2023 un financement en prématuration auprès du service de valorisation CNRS innovation. Ces fonds vont permettre d’accélérer la production du polymère via l’achat d’un synthétiseur automatique.
Avant d’entamer les premiers tests sur modèles animaux, l’équipe peaufine encore leur molécule « nous cherchons à améliorer les étapes de polymérisation en vue d’une production standardisée indispensable à une synthèse industrielle. Nous testons d’autres conformations alternatives au peigne et explorons également la possibilité d’emprisonner d’autres types de molécules dans le polymère. » ajoute Delphine Chan-Seng. « Au-delà de l’aspect antibactérien, la capacité de ce polymère à libérer sur demande une molécule en fonction d’un stimulus (ici la température) en fait un outil intéressant pour libérer de l’ARN ou de l’ADN et envisager des thérapies pour les maladies génétiques ».
Ce polymère made in Strasbourg est porteur d’espoir pour les patients atteints d’infection à bactéries résistantes, mais il s’avère également un nouvel outil pour d’autres pathologies nécessitant la libération contrôlée d’un agent thérapeutique.
L’équipe du groupe de Fouzia Boulmedais (directrice de Recherche du CNRS) et Delphine Chan-Seng (chargée de recherche au CNRS) au sein du laboratoire « Polyélectrolytes, Complexes, et Matériaux » (PECMAT, Institut Charles Sadron à Strasbourg).